Le but premier de cet ouvrage est de permettre à un public francophone de mieux connaître une région dont il entend parler de plus en plus, sans nécessairement pouvoir la situer géographiquement. Rares sont ceux qui peuvent aller au-delà des poncifs habituels sur la Transylvanie; encore plus rares, ceux qui en connaissent quelques éléments d’ordre culturel, en étant capables de les remettre dans un contexte historique. S’ils ont entendu parler d’églises fortifiées à l’intérieur de l’arc des Carpates, c’est généralement de celles de la population «saxonne». Ces édifices sont plus imposants, généralement mieux conservés parce qu’il y a eu des crédits pour le faire, et plus connus parce qu’on en a édité des ouvrages de vulgarisation dans différentes langues occidentales. Il n’en est pas de même pour les églises fortifiées des Sicules.

La première partie du livre s’attache donc à présenter sommairement les cadres géographique et historique de la Transylvanie, ainsi que des peuples et des populations qui s’y trouvent, avec un regard particulier sur les Sicules: qui ils sont et ce qu’ils sont. Un coup d’œil sur la langue permet d’affiner l’approche de leur origine ou, du moins, du chemin parcouru avant d’arriver dans le bassin carpatique. Ils ont amené avec eux un alphabet formé de caractères runiques (les rovásírás) qu’ils ont conservé pendant longtemps, même après avoir adopté la langue hongroise. On en retrouve encore des vestiges dans plusieurs de leurs églises, comme à Berekeresztúr/Bâra, Bögöz/Mugeni, Csíkszentmiklós/ Nicoleşti, Dálnok/Dalnic, Énlaka/Inlăceni, Homoródkarácsonfalva/Crăciunel, Rugonfalva/Rugăneşti, Székelydálya/Daia, Székelyderzs/Dârjiu…

La spécificité des Sicules et leur différence d’avec les Hongrois apparaît ainsi plus clairement, ce qui explique, en partie, le rôle particulier que les rois de Hongrie leur ont demandé de jouer tout au long de la période médiévale: celui de gardes-frontières.

Les Sicules n’ont pas toujours été là où on les trouve maintenant. Ils arrivent dans ce qui deviendra le Székelyföld – le pays des Sicules – à la fin du 12e s. et, surtout, au début du 13e siècle. Ce grand transfert des populations est bien connu maintenant et permet de comprendre pourquoi et comment les Székely sont arrivés dans les sièges administratifs de Udvarhely/Odorheiu Secuiesc; de Kézdi, autour de Kézdivásárhely/Târgu Secuiesc; de Orbai, autour de la ville actuelle de Kovászna/Covasna; de Sepsi, autour de Sepsiszentgyörgy/Sfântu Gheorghe; de Maros, autour de Marosvásárhely/Târgu Mureş; et de Aranyos, dans la région de l’Arieş au sud de Torda/Turda. Après la défaite hongroise de Mohács (1526) face à l’Empire turc et la désintégration du Royaume de Hongrie médiévale, les Sicules ont vécu, dès 1541, dans la «Principauté de Transylvanie», qui est devenue une région autonome de facto, dans une double dépendance théorique entre Vienne (et la vassalité vis-à-vis des Habsbourg) et Istanbul (et le tribut annuel aux Ottomans). L’évolution sociale et politique de la Transylvanie connut une période de calme relatif, alors que le reste de l’Europe était à feu et à sang pour des questions religieuses.

L’édit de Torda/Turda (1568) favorisa une tolérance religieuse pour les catholiques (la religion officielle des rois de Hongrie) et les trois confessions protestantes reconnues: les luthériens évangéliques (surtout des Saxons), les calvinistes et les unitariens (essentiellement des Hongrois). Cette diversité se retrouve toujours actuellement dans les églises du pays des Sicules.

Mais les pressions extérieures venant de l’est ont toujours été très fortes et dévastatrices. Entre le 12e s. et le 18e s., on peut compter sur les doigts d’une main les églises qui n’ont pas eu à subir les assauts des Mongols (ou Tatars), des Turcs… sans parler des ravages causés par les Habsbourg d’Autriche! Les plus marquants restent, bien sûr, les grands raids mongols du milieu du 13e s., 1241-1242 (par exemple à Felsőboldogfalva/Feliceni, Gidófalva/Ghidfalău, Sinfalva/Corneşti, Miklósvár/Micloşoara, Sepsiárkos/Arcuş), ou les incursions ininterrompues tout au long du 17e s.: de 1601, avec l’armée de Michel le Brave (Mihály/Mihail Viteazul), voïvode de Valachie et les Turcs, et celles de 1605, avec le général Basta (Dálnok/Dalnic, Kálnok/Calnic, Székelydálya/Daia, Székelyderzs/Dârjiu), à 1694, avec les Mongols et les Tatars de Crimée (Csíkkozmás/Cosmeni, Csíkszentlélek/Leliceni, Csíkszentmihály/Mihăileni, Csíkszentmiklós/Nicoleşti, Gyergyószárhegy/Lăzarea, Székelyszentlélek/Bisericani). En fait, Homoródszentmárton/Mărtiniş avait déjà connu les assauts des Petchenègues (vraisemblablement), dès le 12e siècle, et Csíkszentkirály/Sâncrăieni connaîtra encore ceux des Turcs en 1790!

La liste est loin d’être exhaustive, mais elle permet de comprendre les raisons évidentes qui ont poussé les Sicules (comme les Saxons, d’ailleurs, mais avec des moyens financiers différents) à protéger les seules installations en pierre qui étaient bâties à l’époque, leurs habitations personnelles étant en bois et en pisé. Les murs d’enceinte construits autour des églises rurales constituent la forme la plus simple, la moins onéreuse et la plus répandue dans le monde sicule. On peut les regrouper en trois catégories.

Dans la plupart des cas, l’église est entourée d’un mur bas, en pierre ou en brique, sans fortification élaborée ou un système de défense intégré. Nous avons transposé l’appellation hongroise de kerített templom en église «enclose». Gelence/Ghelinţa, Csíkdelne/Delniţa ou Székelydálya/Daia en sont des exemples parmi les plus représentatifs.

Dans la deuxième catégorie, l’église est entourée d’une muraille fortifiée de plusieurs mètres de haut, munie de moyens défensifs élaborés, tels que des meurtrières et des mâchicoulis, et par conséquent, dans ce dernier cas, d’une coursière ou un chemin de ronde y donnant accès. Nous avons traduit le terme de vártemplom ou templomvár par église «fortifiée», au sens vrai du terme. Les cas de Csíkkarcfalva/Cârţa, Illyefalva/Ilieni ou Bölön/Belin en sont de bons exemples, ainsi que Nagyajta/Aita Mare et Sepsiszentgyörgy/Sfântu Gheorghe.

Les deux derniers exemples cités forment aussi une troisième catégorie, car l’église elle-même est fortifiée; elle constitue une véritable forteresse, sens du mot que l’on retrouve dans erődtemplom ou templomerőd. Nous l’avons donc appelée église «forteresse». A côté des deux exemples précédents, on peut aussi mentionner les églises de Székelyderzs/Dârjiu ou de Zabola/Zăbala.

La classification est peut-être sécurisante pour l’esprit, mais elle n’est pas toujours évidente et l’interprétation des spécialistes est parfois divergente. De plus, certaines églises ont pu être affectées d’une seconde, voire d’une troisième muraille au cours des temps, et il n’est pas toujours facile de retrouver des documents historiques qui soient clairs et univoques à ce propos.

Quand ces fortifications ont-elles été construites? Certains chercheurs ou des fouilles archéologiques semblent attester que les premières fortifications remontent aux 11e-12e siècles. Et les raids mongols du 13e s. ont certainement dû inciter les Sicules à construire des enceintes de défense! Mais la première grande période de fortification des églises date des 14e-15e siècles. Les enceintes de cette époque sont relativement simples: une muraille ceinture l’église et le cimetière – qui, au début, avait été construit autour de l’église elle-même –; le tout est fermé par une tour-porte qui en contrôle l’accès. Si la topographie des lieux le permet, la forme la plus fréquente se rapproche d’un cercle (Bikfalva/Bicfalău, Kézdialbis/Albiş, Gidófalva/Ghidfalău) ou d’une ellipse (Zabola/Zăbala, Sepsiszentgyörgy/Sfântu Gheorghe). Dans le cas contraire, l’ellipse de base est plus déformée (Csíkkarcfalva/Cârţa, Maksa/Moacşa).

Les premières listes des paroisses établies par le «registre pontifical de la dîme», entre 1332 et 1337, ne mentionnaient pas si les églises étaient fortifiées ou non, ni même si les fortifications existaient déjà. Leur but premier était essentiellement comptable et administratif. Elles permettent, toutefois, d’avoir une bonne approche des paroisses existantes – fortifiées ou non –, à l’exception de celles du siège de «Orbai» (Orbaiszék) qui ne seront reprises que dans les listes du nouveau registre de 1567.

Une seconde époque de fortifications est apparue au 17e siècle, suite à l’évolution des techniques militaires. Les armes à feu s’étant généralisées, il devenait important de pouvoir prendre les assaillants à revers. Des techniques nouvelles, influencées par la Renaissance italienne, permirent de répondre à cette nouvelle réalité: des murs anguleux et rectilignes, contrôlés par des bastions de formes diverses, mais angulaires eux-aussi. Certaines murailles forment un quadrilatère (Nagyajta/Aita Mare, Székelyderzs/Dârjiu), un pentagone (Sepsiárkos/Arcuş), un hexagone (Illyefalva/Ilieni) ; elles ont gardé une forme circulaire ou ovoïde (Homoródszentmárton/Mărtiniş, Lemhény/Lemnia), ou ont des formes composites utilisant à la fois des éléments circulaires et angulaires (Csíkszentmihály/Mihăileni, Csíkszentmiklós/Nicoleşti).

Les églises de Illyefalva/Ilieni et Székelyderzs/Dârjiu ont même été renforcées par des enceintes datant des deux époques, la seconde s’ajoutant à la première (qui est encore partiellement visible dans le premier cas cité). Quant à l’église de Kézdiszentlélek/Sânzieni, elle est unique en son genre et est l’objet d’une étude plus spécifique.

La deuxième partie du livre aborde tous ces cas particuliers, propres à chaque église. Elles sont présentées dans l’ordre alphabétique de leur appellation en hongrois, puisqu’il s’agit d’une culture magyarophone, replacées dans la structure historique et administrative de l’époque, et, en parallèle, par leur appellation en roumain, remises dans le judeţ actuel. La confession religieuse de l’église actuelle est également donnée, ainsi que l’évolution du toponyme dans le temps. De Agyagfalva/Lutiţa à Zalán/Zălan, la présentation de chaque localité fait référence aux premières traces d’habitat et à la fondation du village actuel, à celle de l’église médiévale et aux caractéristiques principales de son évolution, ainsi qu’à celles de la construction des fortifications.

Quelques églises ceinturées par des enclos sont également abordées, même s’il ne s’agit pas toujours d’églises fortifiées au sens strict du terme et/ou si elles ne sont pas reprises par tous les spécialistes. Ces petits bijoux culturels sont présentés, en parallèle, pour la richesse de leur contenu artistique et/ou de leur espace bâti (Agyagfalva/Lutiţa, Bögöz/Mugeni, Csíkszentdomokos/Sândominic, Csíkszentkirály/Sâncrăieni, Csókfalva/Cioc, Énlaka/Inlăceni, Gyergyóálfalu/Joseni, Gyergyóditró/Ditrău, Gyergyószárhegy/Lăzarea, Gyergyószentmiklós/Gheorgheni, Homoródkarácsonfalva/Crăciunel, Kászonaltíz/Plăieşii de Jos, Kökös/Chichiş, Nyújtód/Lunga, Réty/Reci, Rugonfalva/Rugăneşti, Székelyudvarhely/Odorheiu Secuiesc [Jézus kápolna]). Elles sont toutefois clairement mentionnées comme telles, pour éviter toute confusion, et bénéficient d’un symbole particulier sur la carte d’ensemble présentée sur la page de garde avant du livre.

Un total de 80 églises est ainsi présenté: 37 dans le judeţ de Harghita/Hargita, 36 dans celui de Covasna/Kovászna, 3 dans celui de Mureş/Maros, 3 dans celui de Cluj et une dans celui de Braşov. Elles sont de confession calviniste (34), catholique romaine (28) et unitarienne (18).

A l’origine, toutes ces églises étaient catholiques et, comme toutes les églises au Moyen Age, étaient abondamment décorées. Tout était au service de l’éducation religieuse des fidèles: portails, tympans, chapiteaux, culots et, surtout, fresques murales… Certains de ces éléments sont encore visibles dans les différentes églises, plus ou moins bien conservés selon les cas: les destructions, les outrages du temps et les fonds pour les remettre en valeur expliquant les différences. Mais il n’y a pas que les plafonds décorés de Székelydálya/Daia ou de Csíkmenaság/Armăşeni, les fresques de Székelyderzs/ Dârjiu ou de Gelence/Ghelinţa, pour ne prendre que quelques exemples parmi les plus spectaculaires!

La Réforme et le retour à la simplicité évangélique provoquèrent leur suppression, soit par destruction, soit, dans le meilleur des cas, par recouvrement au moyen de badigeon. Leur redécouverte ultérieure et leur restauration progressive sont une source de richesse culturelle dont la population des villages commence à prendre conscience de plus en plus. Les différents thèmes et les cycles sont progressivement analysés, à mesure de leur mise au jour, et permettent des comparaisons intéressantes au point de vue artistique. Ces cas sont signalés au cours de la présentation des différentes églises.

Il en est ainsi d’un thème récurrent dans tout le bassin pannonien et carpatique: la légende de Szent László (saint Ladislas). Il a connu une large diffusion en Transylvanie et dans le Székelyföld en particulier, où on en trouve une vingtaine de représentations sur la cinquantaine d’églises qui contiennent des séquences. On le retrouve, entre autres, à Gelence/Ghelinţa, Homoródkarácsonfalva/ Crăciunel, Székelyderzs/Dârjiu, Bögöz/Mugeni, où on peut en voir de belles représentations; d’autres églises en montrent des vues plus fragmentaires (Csíkszentmihály/Mihăileni, Oklánd/Ocland, Székelydálya/Daia, Rugonfalva/Rugăneşti); d’autres encore n’ont plus les fresques, car elles ont été détruites ou emportées (Nagyajta/Aita Mare, Homoródszentmárton/Mărtiniş), mais des dessins ont généralement pu en être faits.

Les églises fortifiées présentées sont essentiellement des églises rurales, vu le développement social et historique de cette population de «gardes-frontières» que constituaient les Sicules. Il y avait peu de villes dans le Székelyföld et le système de protection reposait sur une tout autre logique. Le cas de l’église castrale de Marosvásárhely/Târgu Mureş n’est donc pas présenté, pas plus que celui de Kézdivásárhely/Târgu Secuiesc, qui se trouvaient en milieu urbain. Par contre, les cas de l’église «forteresse» de Sepsiszentgyörgy/Sfântu Gheorghe et de la petite chapelle du Sacré-Cœur de Jésus, à l’entrée sud de Székelyudvarhely/Odorheiu Secuiesc, font l’objet d’une présentation plus nuancée, à cause de leurs spécificités. Il en est de même pour l’église médiévale de Gyergyószentmiklós/Gheorgheni, qui ne se trouvait pas dans un milieu urbain, à l’époque, et qui a toujours joué un rôle de polarisation dans cette région reculée du Székelyföld.

Le pays des Sicules présente donc une homogénéité culturelle assez forte, forgée dans le passé par le rôle spécifique qu’on leur a fait jouer. Cet esprit de corps est toujours très vivace et ne risque pas de se perdre. Le patrimoine bâti participe pleinement à ce support culturel et, de toute évidence, l’ensemble des églises fortifiées sicules en constitue un élément des plus manifestes.

C’est la raison pour laquelle il est à souhaiter que les Sicules fassent tout pour préserver ce patrimoine unique dans les meilleures conditions, et que les autorités du pays favorisent ce maintien dans le respect de la diversité culturelle des différentes populations qui le constituent.

Hubert Rossel

 

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Français: Eglises fortifiées sicules_Résumé_livre (FR)

Hongrois: Eglises fortifiées sicules_Résumé_livre (H) Székelyföldi erödített templomok.pdf

Roumain: Eglises fortifiées sicules_Résumé_livre (RO) Bisericile fortificate din Tinutul Secuiesc.pdf